Histoire politique contemporaine
Le Parti communiste ouvre les portes de son histoire
LE MONDE | 18.06.05 | 12h23 • Mis à jour le 18.06.05 | 16h04 Tout savoir ou presque sur le Parti communiste français, ses forces militantes, son influence sur la scène politique française pendant soixante-dix ans, ses moyens de propagande ou ses pratiques bureaucratiques. L'ouverture, le 1er juillet, des archives du PCF et leur mise à disposition du public, annoncées le 6 juin par Marie-George Buffet, ont soulevé intérêt et curiosité chez les historiens. Après des décennies de mémoire cachée et de négation des divergences, l'attente est grande pour tenter de retracer l'histoire d'une formation politique qui a structuré la gauche.
Tous les chercheurs s'accordent à reconnaître que les fonds ainsi dévoilés 800 mètres linéaires de documents allant de 1921 à 1994 déposés aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis sont d'une grande richesse. "Peu de partis offrent une telle panoplie d'archives" , remarque Marc Lazar, professeur à Sciences Po. La tradition bureaucratique des communistes et leur obsession à inscrire dans l'histoire ce que dit et fait le parti, a produit une quantité impressionnante de traces.
PV DES BUREAUX POLITIQUES
Sténogrammes de réunions, enregistrements audios des comités centraux, tracts, films, affiches, procès-verbaux des bureaux politiques, journaux, correspondance privée..., les documents certains connus, d'autres inédits permettront de mieux comprendre le fonctionnement du PCF, ses décisions et certains débats qui l'ont traversé. De statut privé, ces archives seront progressivement accessibles, d'ici deux ans, à tout public dans le cadre légal de la communication de la loi sur les archives publiques de 1979, avec un délai de prescription minimale de trente ans. Auparavant, seuls les chercheurs autorisés pouvaient y accéder. Parallèlement la Bibliothèque marxiste de Paris, fermée faute de moyens en 2001, sera rouverte fin 2007 à Bobigny : 30 000 ouvrages et 15 000 brochures se réclamant du mouvement ouvrier ou du marxisme, publiés entre 1789 et 2000, seront consultables.
L'histoire de ces fonds a pourtant été tumultueuse. A l'instigation de l'Internationale communiste, le PCF a constitué ses archives dès 1921. Un double était alors envoyé à Moscou. Tous les documents consignés au siège du parti à Paris avant la guerre ont été détruits pendant l'Occupation, probablement par ses responsables. La mémoire de ces années a ensuite été restituée en trois vagues sous forme de microfilms : 1972, 1983 et 1990. Les archives postérieures à 1945 ont continué à être préservées Place du Colonel-Fabien avant d'être transférées en 1972 à l'Institut Maurice-Thorez, centre de recherche historique communiste. Mais, en 1978, Gaston Plissonnier, secrétaire de Georges Marchais, organise une descente pour récupérer le fonds. "L'utilisation des documents par des historiens jugés peu fiables était considérée comme nocive pour le parti" , relate Roger Martelli, historien communiste. Les permanents du parti ont pensé alors garder en sécurité la mémoire des années tumultueuses sans savoir que les chercheurs avaient gardé des copies d'un enregistrement resté secret pendant près de vingt ans : le compte rendu du comité central du 9 mai 1956 pendant lequel Maurice Thorez fait état de la communication au comité central du PCUS du rapport Khrouchtchev, alors que les dirigeants communistes français en niaient au même moment l'existence...
Ces archives sont désormais indexées par mot-clé et numérisées. Tapez Maurice Thorez et apparaîtra la liste et le compte rendu des réunions que le dirigeant a présidées dans les années de la guerre froide. Pourtant, peu de révélations sont attendues. La plupart des périodes ont déjà été largement étudiées. Les témoignages les plus marquants publiés. Et les documents gênants nettoyés au moment de la chute du mur de Berlin. "Ce qui est nouveau, ce ne sont pas les dossiers cachés mais la possibilité d'étudier le fonctionnement de l'appareil sur une longue durée" , assure Serge Wolikow, historien et directeur de la Maison des sciences de l'homme de Dijon.
LA CONQUÊTE DU SNES
Ainsi, si les archives de la commission centrale de contrôle politique, sorte de tribunal interne, sont attendues avec gourmandise, d'autres trésors peuvent émerger. Comme les cartons de la "commission enseignement" , qui retracent la conquête du syndicat SNES par les communistes, sous la houlette de Pierre Juquin, et leur prise de pouvoir en 1967 sur les socialistes.
Les lettres adressées par les militants à la direction du parti, discutant la ligne des critiques inaudibles à l'extérieur sont également précieuses. Ou encore les archives sonores des congrès nationaux ou des comités centraux. "On y entend Thorez martelant ses propos, cela donne l'intensité de certaines séances" , souligne M. Lazar. Le PC veut continuer cette "politique d'ouverture" sur toutes ses archives. Les fédérations ont pour consigne de déposer leurs dossiers aux archives départementales. Un partenariat a été passé avec le Musée de l'Holocauste à Washington et le Mémorial de la Shoah à Paris pour constituer un fonds des résistants juifs et communistes en reproduisant les documents existant sur des microfilms. Le Parti communiste veut ainsi démontrer qu'il n'a plus rien à cacher.
Sylvia Zappi
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Les archives de Moscou entrouvertes
Après une période d'euphorie à partir de 1990 au cours de laquelle les archives de l'ancienne URSS ont été largement ouvertes aux chercheurs, celles-ci se sont faites moins accessibles à compter du milieu de la décennie. La Fondation Hoover avait conclu un accord avec les archives d'Etat de Russie pour microfilmer la plus grande masse de documents possible. Ce projet n'a pas abouti, même si l'institution américaine met à la disposition des chercheurs quelque 11 millions de pages microfilmées.
Il est prévu que la partie des archives du Parti communiste d'URSS qui concerne le PCF soit numérisée et déposée aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis, permettant des recoupements. Selon certains historiens, familiers des archives soviétiques, la communication des dossiers laisserait toutefois à désirer. En effet, sans explication évidente, les archivistes retirent certaines pièces des cartons.